(MIS À JOUR : )
REPORTAGE
En grève depuis cinq jours, une centaine d'employés du métro ont occupé la station Ana Rosa, dans une lutte musclée avec les forces de l'ordre.
La voiture noire, un peu cabossée, file dans la nuit. Il est un peu plus de 2h30 du matin. D’ordinaire si embouteillées, les rues de São Paulo sont presque vides. Felipe Guarnieri, 28 ans, délégué syndical des employés du métro, que l’on a rencontré quelques heures plus tôt, récupère sur le chemin une poignée de camarades. Puis, ils filent tous ensemble vers la station Ana Rosa. Après une intervention musclée des forces de l’ordre vendredi, à cet endroit, le lieu est devenu symbolique.
Dimanche, les grévistes du métro, qui entament leur cinquième jour de protestation, ont voté à une large majorité la poursuite du combat. Ils réclament en vain une augmentation salariale de plus de 10% mais aussi de meilleures conditions de travail. A 7 heures du matin (midi en France), une manifestation est prévue dans la rue, avec d’autres organisations comme le Mouvement des sans-logis (MTST) et des syndicats étudiants. Mais avant, Felipe Guarnieri et ses collègues veulent empêcher le départ des wagons, qui démarrent normalement à 4h40.
A 3 heures, devant la bouche d’entrée du métro, ils sont une centaine. Ils hésitent. Faut-il aller à l’intérieur pour mieux prendre le contrôle des rames, mais au risque d’être encerclés par la police facilement ? Ou rester à l’extérieur, plus sûr, mais moins symbolique ? Dimanche, un juge a déclaré ces occupations illégales, menaçant les grévistes d’indécentes amendes quotidiennes. Il donne, surtout une excuse aux policiers pour intervenir. Au Brésil, ils font peur, surtout les forces d’intervention d’état, les «Choque», qui ont la réputation d’avoir la gâchette facile. Deux voitures «policia militar» sont déjà là et observent, passivement, les discussions. Leurs gyrophares illuminent la nuit sans bruit.
Allez, la décision est prise : ils s’engouffrent dans les entrailles du sous-terrain vers le centre de la station. Un poème du portugais Fernando Pessoa, gravé sur le marbre, les accueille : «O mistério das cousas, onde está ele ? Onde está ele que não aparece. Pelo menos a mostrar-nos que é mistério ?». «Le mystère des choses, où donc est-il ? Où donc est-il, qu’il n’apparaisse point pour nous montrer à tout le moins qu’il est le mystère ?»
«PRÊTS À CONTINUER LA GRÈVE»
La plupart des employés qui sont venus sont jeunes, moins de trente ans. Ils n’ont pas des têtes de casseurs ou de manifestants professionnels. Ils sont habillés comme tous les jours : jeans, tee-shirt, baskets. Presque aucun n’a de masque ou de foulard. Certains sont vêtus de chasubles noires avec les slogans du syndicat. «Nous voulons des transports comme (les structures de) la Fifa», «ça suffit de suffoquer, faisons le siège de la corruption». D’autres portent des maillots verts de Palmeiras, un club local, ou un tee-shirt pour soutenir les droits des homosexuels.
Victor a 23 ans, une petite barbiche et encore une tête d’adolescent. Il travaille depuis deux ans sur la ligne 1, comme vendeur de tickets. «Bien sur, la population de São Paulo souffre de cette grève», reconnaît-il. L’absence de transports en commun souterrains, déjà insuffisants en temps normal, entraîne des dizaines de kilomètres de bouchons, et des heures d’attente aux arrêts de bus. «Mais ils savent que ce n’est pas que pour nous, que nous nous battons pour de meilleures conditions d’accueil. Le métro est aujourd’hui complètement engorgé.»
Une des solutions proposées par le syndicat est qu’il devienne gratuit, le temps des négociations, mais le gouvernement de l’Etat de São Paulo ne veut pas en entendre parler. «Nous sommes prêts à continuer la grève tout en travaillant pour rien, si les gens en profitent aussi, continue Victor. Actuellement le ticket coûte 3 reais l’aller(environ 1 euro) et il augmente chaque année. Pour les Brésiliens qui gagnent peu d’argent c’est une fortune». Lui est payé 1 400 reais par mois (460 euros). «Je n’ai pas de femme ni d’enfant, donc ça va, je m’en sors, mais sinon cela serait impossible.»
D’autres protestataires arrivent. Bientôt 4 heures, ils sont un peu plus de 150. Le groupe n’est pas très organisé. Que doit-on faire ? Aller par petits groupes sur les différents quais ? Rester au centre de la salle, tous ensemble ? Dans la foule, il n’y a pas que des employés du métro, mais aussi quelques étudiants et syndicalistes sympathisants. Carolina Mates, 27 ans, porte le sweat de l’União da Juventude Rebelião, première organisation étudiante du Brésil. «Je suis venue ce soir parce que leur grève est juste», explique-t-elle. «Malheureusement, le gouvernement ne veut pas négocier, alors cela risque de continuer, même pendant les matchs.» La Coupe du monde doit commencer jeudi, à São Paulo. Elle est dans tous les esprits. «Nous avons le droit de manifester, on ne doit pas nous l’interdire», continue-t-elle.
Manifestants à l’extérieur de la station Ana Rosa. (Photo Damir Sagolj. Reuters)
«ÇA VA EXPLOSER, C’EST SÛR»
4h20. Trois policiers, dont l’un avec une caméra, descendent dans la station. Tout le monde filme tout le monde, en permanence. «OK, cela va commencer à être tendu», lance un manifestant à côté de nous. Les forces de l’ordre souhaitent convaincre les protestataires de remonter à la surface. Dans un premier temps, cela semble marcher. Une cinquantaine de personnes se dirige vers la sortie, on les suit, pensant à un mouvement général. Dehors, les photographes de presse et la télé brésilienne sont là, une dizaine de personnes. Mais la plupart des grévistes sont finalement restés à l’intérieur. Pas Anderson, 27 ans, délégué syndical des services des eaux de la ville. «Je soutiens ceux qui sont toujours dans le métro, évidemment, confie-t-il. Mais lors de ce type de grève, seule les personnes qui travaillent dans l’entreprise ont le droit de manifester. Pour les autres, si nous sommes arrêtés, nous risquons encore plus.»
Dix minutes passent. L’un des leaders du mouvement, Raimundo Cordeiro, apparaît derrière les grilles désormais fermées. «La presse, la presse !», appelle-t-il. On s’engouffre à nouveau. La police suit et s’arrête en haut des escalators, rendant toute remontée impossible. La tension est désormais palpable. «Ça va exploser, c’est sûr, mais quand ?», se demande Victor.
Un cri, une alerte, on se retourne, par les tunnels des voies, les policiers sont arrivés sur les quais. Une petite dizaine, tout en gris, gilets pare-balles, casques, boucliers, pistolet étourdissant, fusils à balles en caoutchouc, matraques. L’attirail complet.
5h25, les forces d’intervention demandent à la presse de sortir, mais la foule se met à scander «Non à la censure, on n’est plus en dictature». Ils rebroussent chemin. Leur chef revient régulièrement négocier, mais les discussions sont dans l’impasse.
Les manifestants au moment où la police veut censurer les médias :
VIDEO
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Bron : Libération / Monde
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