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Récit d'audience : une jUstice oppressive
Le Centre de Rétention Administrative de Coquelles, situé à dix minutes de Calais, est ouvert depuis 2002 et a une capacité d’enfermement de 104 places. Les personnes qui y sont enfermées doivent être présentées devant le Juge des Libertés et de la Détention (JLD) dans les 96h qui suivent leur placement, afin d’infirmer ou de confirmer leur rétention. Une des particularités propre au CRA de Coquelles est que le tribunal où se déroulent les audiences du JLD se situe à l’intérieur du centre de rétention. De ce fait, l’accès aux audiences reste public mais est soumis à la présentation d’une pièce d’identité valide, avec relevé d’identité et s’accompagne d’une fouille au corps. Parce que le tribunal se trouve dans l’enceinte du CRA, un tour de passe-passe juridique autorise donc la police a imposer sa loi sécuritaire et à contrôler d’office les visiteur.ices. Ces modalités rendent difficile, voire impossible, l’accès aux audiences pour des proches de personnes enfermées qui n’auraient pas de titre de séjour ou qui seraient en cours de procédure pour l’obtention de leurs papiers. Le risque d’une vérification d’identité et de se voir délivrer une mesure d’éloignement du territoire n’étant pas nul. De la même manière, devoir se soumettre aux fichages des keufs est un frein pour les camarades qui ne voudraient pas donner leur identité à la police, alors même que l’accès aux audiences du JLD est public et est censé être accessible pour tout le monde.
Autre particularité du JLD de Coquelles, depuis la période de restriction sanitaire liée à la Covid-19, un écran a été installé dans la salle d’audience et ces dernières se font à distance, en visioconférence. Il n’y a jamais eu de rétablissement des audiences en présentiel. Les juges ne font plus l’effort de se déplacer de leur bureaux de Boulogne-sur-Mer pour venir juger les personnes enfermées. Les avocat.es des détenu.es se trouvent aussi le plus souvent avec la.e juge dans son bureau, et ne se donnent même pas la peine de venir rencontrer les personnes qu’iels doivent défendre et de plaider à leurs côtés. Cette situation donne lieu à des audiences complètement lunaires, où les problèmes techniques sont monnaie courante et jouent de toute évidence en défaveur des personnes enfermées. Les soucis de son et de connexion à la vidéo ne permettent pas toujours d’entendre exactement ce qui est dit, et il arrive que l’interprète d’une personne ne soit pas dans la salle d’audience mais en ligne. C’est la soit-disant justice « impartiale » qui est censée être rendue alors même que la juge et les avocat.es sont réuni.es dans une même salle, ne se cachant souvent pas de leur complicité, balayant les dossiers au plus vite et délibérant caméra et micro coupés sans que personne ne puissent savoir ce qui se dit hors champ. Rien d’étonnant, nous savons que cette justice est raciste et un pilier de la machine à expulser des gouvernements fascistes. De trop nombreuses personnes en payent le prix de leur vie tous les jours, nous souhaitons le rappeler et ne jamais normaliser l’enfermement quotidien et les expulsions forcées. Car nous pensons qu’il est nécessaire de donner un aperçu, infime soit-il, des mécanismes juridiques de l’enfermement dans les centres de rétention, pour que toutes ces personnes qui luttent à l’intérieur et qu’Ils essayent d’invisibiliser ne soient jamais oubliées.
Le récit suivant a été écrit à la suite d’une audience à laquelle ont assisté plusieurs personnes. De toute évidence, l’ensemble des audiences auxquelles nous assistons sont l’espace d’expression d’une jUstice raciste à vomir et mériterait de faire l’objet d’un récit d’observation. Nous avons choisi de raconter le cas d’A un homme enfermé au centre de rétention de Coquelles depuis déjà un mois.
Au début du mois de mars , un homme A. a été jugé par le Juge des Libertés et de la Détention (JLD) au CRA de Coquelles. Enfermé depuis le début du mois de février il est jugé sur demande de la préfecture pour savoir si son enfermement est prolongé de 15 jours ou si il est libéré.
L'audience commence, l'avocat de A., qu'il a lui même choisit, explique la situation de son client. D'origine algérienne, la préfecture a planifié un vol le 27 janvier mais elle n'avait pas le laissez-passer nécessaire pour renvoyer Monsieur A. en Algérie. Le 10 février un nouveau vol est planifié avec cette fois un laissez-passer des autorités algériennes, A. refuse d'embarquer. Comme le souligne son avocat, aucun procès verbal (PV) n'a été établit notifiant ce refus d'embarquer, ainsi ce refus ne peut pas entrer en considération lors du jugement. Un troisième vol est planifié puis annulé au dernier moment par l'administration. Puis un quatrième vol est réservé alors qu'A. a déposé une demande d'asile, ce qui rend son expulsion du territoire impossible le temps du délai d'analyse de son dossier. Alors que la procédure d'asile est rejetée, un cinquième vol est planifié. A. refuse toujours d'embarquer, ce qui lui sera reproché tout au long de l'audience pour motif "d'obstruction au départ", alors même qu'il est bien notifié dans le PV qu'il n'y avait de toute façon pas assez d'effectifs policiers pour effectuer le transfert ce jour là.
Pour rappel, dans la loi est caractérisé comme étant un délit "l'obstruction volontaire à l'éloignement", c'est- à-dire de s'opposer à sa propre expulsion du territoire. Les personnes le faisant peuvent être poursuivies et risquent une peine de prison mais cela a peu ou n'a pas été mis en application récemment à notre connaissance. Il y a plus de chance qu'un autre vol soit programmé et qu'on attache/maintienne de force, au moyen de sangles ou de scotch adhésif, la personne dans l'avion. Pour autant, cela n'empêche pas les personnes de lutter contre leur expulsion et d'essayer de refuser de prendre des vols vers des pays où iels n'ont pas d'attaches et pas de vie qui les attend.
Ainsi la préfecture a demandé sa prolongation en "rétention" et insiste sur les "entraves" à la procédure de A. Cependant la préfecture a oublié certains éléments très importants. Notamment A. souffre d'une maladie neurologique chronique pour laquelle il a besoin de soins ! Il a déclaré ne pas avoir eu de prise en charge médicale dans le CRA alors qu'il en a fait la demande. Le juge a répliqué qu'il y a un médecin au CRA et une flic d'ajouter "qu'il pouvait le voir tous les jours de la semaine sauf le week-end", ce qui est faux. Il y a deux infirmières qui ne sont pas toujours joignables et qui décident si une personne doit voir le médecin ou non. De plus, les infirmières ne donnent que du doliprane sans tenir compte des ordonnances de soins délivrées dans le passé, ni sans écouter les connaissances qu'a la personne de sa propre maladie. Cet homme qui a besoin d'un suivi médical a été placé en détention sans accès aux médicaments nécessaires pour qu'il vive !
Lors de l'audience, le juge a également soulevé le motif d'une demande d'asile "abusive" dont le seul but serait de "contourner le placement en rétention". Comment une demande d'asile peut elle être abusive ? Chacun.e à le droit de demander l'asile sans condition, c'est un droit garanti par la Constitution. Le juge, que la situation a l'air d'amuser, lui demandera : "pourquoi ne voulez-vous pas partir en Algérie ?", A. répondra : "parce que j'ai trois enfants ici, une femme française, un travail" et le juge de rétorquer : "Ah, ça n'a pas l'air d'avoir convaincu la préfecture monsieur". A. vis en fRance depuis 11 ans. On lui a donné une Obligation de Quitter le Territoire Français (OQTF) sans l'en informer ce qui est contraire à la loi, son avocat va donc entamer une procédure de recours contre cette OQTF.
Tout au long de l'audience et comme souvent au tribunal de Coquelles, le juge et les policiers ainsi que l'avocat de la préfecture étaient très détendus. Des blagues et réflexions désagréables se faisaient entendre dans la salle. L'avocat de la préfecture n'avait pas trop besoin de travailler puisque le juge avançait les arguments à sa place. Alors que l'audience démarre le juge et sa greffe informent l'avocat de A. qu'ils n'ont pas reçu les documents qu'il leur avait envoyé car ils ont eu un "problème de mail" la veille. Sans s'être inquiété.es de demander à nouveau l'envoi des documents pour préparer le dossier en amont. Alors que l'audience a déjà commencé, le juge a ordonné la suspension pour que l'avocat fasse renvoyer les documents, tout en le lui reprochant et en soufflant d'agacement, alors que visiblement c'était de sa faute. Le juge voulait faire "au plus vite" et donc a fait passer d'autres dossiers entre temps. D'ailleurs pour "gagner du temps" la décision concernant A. n'a pas été rendue pendant l'audience mais plus tard dans l'après-midi. Pourtant, au CRA, le seul temps perdu est celui des personnes enfermées.
Finalement, malgré son état de santé et sa situation familiale, A. a été prolongé au CRA pour au moins deux semaines.
Le cas d'A. n'est pas un cas isolé, partout en fRance, d'autres personnes sont enfermées. Dans ces tribunaux opaques où l'heure est plus au copinage qu'à la jUstice, des décisions d’enfermement sont prises. Des personnes sont enfermées et tenues éloignées de leur vie, de leurs ami.es, de leurs familles, au motif qu'elles n'ont pas les "bons papiers".
A bas les CRAs, et toutes les prisons ! Libertés pour ToustEs !
Si vous assistez aux audiences du JLD de Coquelles ou que vous rendez visites à des prisonniers de ce même CRA et que vous assistez à ce qui vous apparaît être une "anomalie" (on veut dire, encore plus que la violence de l'enfermement elle-même) ou une situation de violence, n'hésitez pas à le renseigner ici : https://framaforms.org/monitoring-cra-coquelles-1710703353 . Les informations collectées dans ce document de façon anonyme pourraient servir pour un signalement.
Hearing story : oppressive jUstice
The Coquelles Administrative Detention Centre, located ten minutes away from Calais, has been open since 2002 and has a capacity of 104 places. The people detained there must be brought before the Judge ‘of Liberties and Detention’ (JLD) within 96 hours of their placement, in order to confirm or revoke their detention. One of the special features of the Coquelles CRA is that the court where the JLD hearings take place is located inside the detention centre. As a result, access to the hearings remains open to the public, but is subject to the presentation of a valid ID, with an identity check, and is accompanied by a body search. Because the court is located on the grounds of the detention centre, a legal sleight of hand allows the police to impose their security laws and carry out automatic controls on visitors. These arrangements make it difficult, if not impossible, for relatives of detainees who do not have a residence permit or who are in the process of obtaining their papers to attend the hearings. The risk of an identity check and being issued with a deportation order is not zero. Similarly, having to submit to police records is a hindrance for comrades who do not want to give their identity to the police, even though access to JLD hearings is public and supposed to be accessible to everyone.
Another peculiarity of the Coquelles JLD is that since the period of health restrictions linked to Covid-19, a screen has been installed in the hearing room and hearings are conducted remotely, by videoconference. There has never been a return to face-to-face hearings. The judges no longer make the effort to leave their offices in Boulogne-sur-Mer to come and judge the detainees. The detainees' lawyers are also usually with the judge in her office, and don't even bother to come and meet the people they have to defend and plead alongside them. This leads to completely lunar hearings, where technical problems are commonplace and obviously work to the detriment of the people being held. Sound and video connection problems mean that it is not always possible to hear exactly what is being said, and sometimes a person's interpreter is not in the courtroom but online. This is the so-called ‘impartial’ justice that is supposed to be dispensed, even though the judge and the lawyers are all in the same room, often making no secret of their complicity, rushing through the files as quickly as possible and deliberating with the camera and microphone switched off so that no one can see what is being said off-camera. It's hardly surprising, as we know that this justice system is racist and a pillar of the fascist governments' deportation machine. Too many people pay the price with their lives every day, and we want to remind everyone of this, and never normalise daily imprisonment and forced deportations. We believe that it is necessary to provide a glimpse, however small, of the legal mechanisms of imprisonment in detention centres, so that all those people who are struggling inside and whom they are trying to make invisible are never forgotten.
The following account was written following a hearing attended by several people. Clearly, all the hearings we attend are a platform for the expression of a racist justice system that is to be vomited out and deserves to be the subject of an observational account. We have chosen to relate the case of A. a man locked up in the Coquelles detention centre for a month now.
At the beginning of March, a man A. was judged by the Judge ‘of Liberties and Detention’ (JLD) at the CRA in Coquelles. Locked up since the beginning of February, he is being judged at the request of the prefecture to determine whether his detention should be extended by 15 days or whether he should be released.
The hearing began, and A.'s lawyer, whom he had chosen himself, explained his client's situation. Of Algerian origin, the prefecture had planned a flight on 27 January but did not have the necessary 'laissez-passer' to send Mr A. back to Algeria. On 10 February a new flight was planned, this time with a pass from the Algerian authorities, but A. refused to board. As his lawyer pointed out, no official report (PV in french) had been drawn up notifying this refusal to board, so this refusal could not be taken into consideration in the judgment. A third flight was planned, but cancelled at the last minute by the authorities. Then a fourth flight was booked, even though A. had filed an asylum application, making it impossible for him to be deported while his case was being analysed. When the asylum procedure was rejected, a fifth flight was planned. A. still refused to board, which he was accused of doing throughout the hearing on the grounds of ‘obstructing departure’, even though it was clearly stated in the official report that there were not enough police officers to carry out the transfer that day.
As a reminder, the law defines as an offence ‘’deliberate obstruction of removal‘’, i.e. opposing one's own expulsion. People who do this can be prosecuted and risk a prison sentence, but as far as we know this has not been enforced much or at all recently. It is more likely that another flight will be scheduled and that the person will be forcibly strapped or taped in place on the plane. However, this does not prevent people from fighting their removal and trying to refuse to take flights to countries where they have no ties and no life ahead of them.
The prefecture has therefore requested that he be kept in ‘detention’ and insists on the ‘obstacles’ to A's procedure. However, the prefecture forgot some very important points. In particular, A. suffers from a chronic neurological illness for which he needs treatment! He stated that he had not received any medical care in the CRA, even though he had requested it. The judge replied that there is a doctor at the CRA and a policewoman added that ‘he could see him every day of the week except weekends’, which is not true. There are two nurses who are not always reachable and who decide whether a person should see the doctor or not. What's more, the nurses only give doliprane, without taking into account any previous treatment prescriptions or listening to the person's knowledge of their own illness. This man, who needs medical attention, has been placed in detention without access to the medication he needs to live!
During the hearing, the judge also raised the issue of an ‘abusive’ asylum application, the sole purpose of which would be to ‘circumvent detention’. How can an asylum application be abusive? Everyone has the right to unconditional asylum, a right guaranteed by the Constitution. The judge, who seemed amused by the situation, asked him: ‘Why don't you want to go to Algeria?’ A. replied: ‘Because I have three children here, a French wife and a job’ and the judge retorted: ‘Ah, that doesn't seem to have convinced the prefecture, sir’. A. has lived in France for 11 years. He has been issued with an Obligation de Quitter le Territoire Français (OQTF) without being informed, which is against the law, so his lawyer is going to appeal against this OQTF.
Throughout the hearing, and as is often the case at the Coquelles court, the judge and police officers, as well as the prefecture's lawyer, were very relaxed. Jokes and unpleasant remarks could be heard in the courtroom. The prefecture's lawyer didn't need to work too hard, as the judge put forward the arguments for him. As the hearing got under way, the judge and his clerk's office informed A.'s lawyer that they had not received the documents he had sent them because they had had an “email problem” the day before. Without having bothered to ask for the documents to be sent again in order to prepare the case in advance. As the hearing had already begun, the judge ordered the case to be suspended so that the lawyer could have the documents sent again, reproaching him for this and huffing and puffing in annoyance, even though it was clearly his fault. The judge wanted to get things done ‘as quickly as possible’, so he sent other files through in the meantime. Moreover, in order to ‘save time’, the decision concerning A. was not handed down during the hearing but later in the afternoon. However, the only time lost in the detention centre is that of the people being held.
In the end, despite his state of health and family situation, A. was kept in the CRA for at least two more weeks.
A.'s case is not an isolated one; all over France, other people are locked up. In these opaque courts, where the priority is on cronyism rather than justice, decisions to detain people are taken. People are locked up and kept away from their lives, their friends and their families, because they don't have the ‘right papers’.
Down the CRAs and all prisons ! Freedom for everyone !
If you attend JLD hearings in Coquelles or visit prisoners in this same CRA and witness what you consider to be an ‘anomaly’ (by which we mean even more than the violence of imprisonment itself) or a situation of violence, please do not hesitate to report it here: https://framaforms.org/monitoring-cra-coquelles-1710703353 . The information collected anonymously in this document could be used for a report.
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