- “La Turquie est un pays sûr”. C’est ce que continuent à affirmer les chefs d’état européens pour justifier l’accord passé pour la “rétention et l’échange” des migrants et réfugiés. Un démenti s’impose contre le déni de réalité.
On se garde bien d’aller regarder de près ce qui se passe sur le territoire turc, pour un bon nombre de migrants étrangers, désormais bloqués en vertu de l’accord.
La “sous-traitance” donnée au régime Erdoğan revêt plusieurs aspects.
Le cas des réfugiés syriens, on le sait, dépend du niveau de vie dont disposait ces familles avant leur départ, de leur “orientation” vis à vis du régime syrien, de leur origine géographique (zones à majorité kurde)… et se matérialise par un abandon et dénuement total pour la grande majorité, et une “insertion économique”, soit comme main d’oeuvre à bon marché et corvéable, soit comme “nouveaux investisseurs” pour petite minorité. Cette situation est peu ou proue la même dans les pays limitrophes de la Syrie, qui accueillent plusieurs millions de personnes, avec l’instrumentalisation politique spécifique qui en est faite par le régime turc, tant sur le plan intérieur que vis à vis du chantage exercé sur l’UE. Rappelons également que la Turquie est devenue une prison à ciel ouvert pour tous les opposants, interdits de quitter le territoire, et que cette situation arrange beaucoup de monde…
La montée des nationalismes nourrissant la haine envers l’étranger, et vice-versa, parallèlement à la situation des réfugiés majoritairement syriens qui essaient de survivre, en dehors des centres et camps, s’aggravent de plus en plus. Exploités comme main d’oeuvre bon marché, subissant menaces et agressions, notamment sexuelles pour les femmes, ils sont de plus en plus victimes de tentatives de lynchages. Comme avertissent les associations de droits humains sans cesse, Gülsüm Ağaoğlu, membre de commission des Immigrés et réfugiés du HDP tirait à son tour, les sonnettes d’alarme, dans un communiqué publié le 25 avril dernier, suite à une nième tentative de lynchage, cette fois dans le quartier Adanalıoğlu, dans la localité Akdeniz à Mersin, ville méditerranéenne.
Le fait que les réfugiés soient expulsés des maisons qui les abritent, ne peux qu’être interprété que comme un soutien à l’atmosphère de lynchage massif. Nous dénonçons le fait que les victimes des attaques locales, soient cette fois lésés en étant exilés en masse. Nous appelons tous les couches sociales et les organisations de Droit, à être sensible sur le sujet.Dans les crimes de haine, qui vont jusqu’aux lynchages, qui sont de la xénophobie, une des manifestations du racisme, le rôle politique et la part du gouvernement AKP qui transforme les réfugiés en sujet de menace et de marchandage, sont claires.Dans notre pays, les travailleurs qui travaillent sans déclaration et sécurité sociale, et les réfugiés syriens qui travaillent dans des conditions encore pire, se trouvent face à face, dans l’agriculture, et plusieurs autres secteurs de travail, et sont entraînés vers une compétition coupe-gorge. Les travailleurs de Turquie et les réfugiés doivent travailler dans les mêmes conditions, et les conditions de travail sans règle, sans déclaration et sans sécurité doivent être changées.Nous répétons par cette occasion, à nouveau, que la politique de réfugiés que le gouvernement AKP mène d’une façon dénuée de toute éthique humaine, au delà de l’utilisation des réfugiés syriens comme atout et sujet de marchandage, provoque la transformation des Syriens en cibles, en ressuscitant le racisme, quand c’est nécessaire.
Mais les réfugiés syriens, s’ils sont les réfugiés des guerres, n’étaient et ne sont pas les seuls à emprunter géographiquement les couloirs de migration turc. L’accord particulièrement inhumain passé entre l’UE et le régime turc prend en compte la diversité de ces migrations, et a instauré des marchandages, et des pseudos engagements réciproques. Ainsi, l’UE finance-t-elle le renvoi des “indésirables”, n’ayant pas “vocation à l’asile”, comme elle le dit si bien. Aussi de pseudos “centres de tri” deviennent-ils, de fait, des “centres de renvoi” (ou de refoulement), qui eux mêmes sont de vulgaires endroits de concentration d’indésirables, où tous les moyens sont mis en oeuvre pour le retour forcé.
Voici pour compléter notre questionnement, la traduction d’un article de Nuray Almaç , paru dans Gazete Duvar, et publié le 29 avril 2017. Nous avons souhaité le faire précéder de ces quelques paragraphes, afin que, une fois de plus, cette question où tout se règle par des moyens parfaitement inhumains, ne fassent pas simplement l’objet de compassion larmoyante sans lendemain.
Le sujet est certes chargé à juste titre d’émotion et d’indignation, mais la défense des droits humains nécessite aussi une mobilisation consciente des enjeux, et une compréhension politique de l’hypocrisie des décisions actuellement prises.
Voici donc l’article en question.
L’humanité appelle à l’aide par la fenêtre !
Ce qu’un ami, qui était parti se promener en vélo m’a raconté, a propos de bruits qui provenaient d’un bâtiment qui se trouve en périphérie de la ville, et qui porte un panneau “Geri Gönderme Merkezi” (littéralement “Centre des renvois”) m’a paru impossible à croire. Je lui ai dit “Ce n’est pas possible, tu te trompes ?”
Des cris, des hurlements, des personnes qui se penchent par les fenêtres et supplient “A l’aide !”
Il devrait y avoir une erreur. Toute la journée, doutes et points d’interrogations ont occupé ma tête. Même si cela paraissait invraisemblable, j’ai décidé d’y voir plus loin. En compagnie d’un ami, je suis allé d’abord en métro, au quartier Egekent 2 d’Izmir. Ensuite, nous sommes montés dans un taxi, et avons demandé au chauffeur de nous amener au “Centre des renvois”. Le chauffeur connaissait l’endroit. Nous n’avons pas roulé longtemps, et un grand bâtiment est apparu devant nos yeux. C’était à la limite de la ville, mais l’endroit n’en est pas écarté. Une femme faisait paitre des moutons…
“Aidez nous, ici c’est Guantanamo !”
Avant d’arriver devant l’entrée du bâtiment, nous demandons au chauffeur de nous faire descendre. Et avant de descendre, nous entendons déjà des appels à faire froid dans le dos. Comme si nous avions atterris subitement dans un film. Un film d’horreur, choquant, profond, traumatisant. La réalité est tellement choquante, que les scènes avancent en ralenti et que, arrachés de nous mêmes, nous nous voyions avec horreur dans cette scène. Devant ces cris “Aidez-nous”, je me sens très démunie. Dans cette impuissance, j’essaye de leur faire comprendre en bougeant mes bras, que je peux être une voix, certes, une réponse faible, à leurs cris. Des cris d’enfants se mêlent à d’autres cris, “A l’aide !”, “A manger !” “Ici c’est Guantanamo !”
J’ai tout de suite contacté quelques avocats dont je sais s’occuper des réfugiés. J’ai demandé ce qu’est le statut juridique de ce bâtiment, et pourquoi les personnes étrangères sont-elles retenues ici, et pourquoi demandent-elles de l’aide à corps et à cri.
“Ce n’est pas comme on peut voir de l’extérieur”
Un avocat, qui n’a pas souhaité donner son nom, parce qu’il a des clients retenus sous contrôle administratif dans ce centre, mais qui a voulu s’exprimer m’a dit : “Avec la responsabilité d’un avocat, je me dois de parler de ce qui se passe dans cet endroit”.
Cet endroit est le “Centre des renvois Harmandalı” attaché à la Direction Générale de l’administration de l’immigration, du Ministère de l’intérieur.
“En réalité, quand il a été créé, il avait été conçu comme un centre, où les étrangers allaient venir signer, entrer et sortir librement. Ces centres, quand vous les regardez de l’extérieur, apparaissent comme des bâtiments bien entretenus, voire luxueux. Mais, contrairement à cette apparence, ce sont des endroits où les conditions de vie ne sont pas humaines. Selon l’article 54 de la ‘Loi relative aux étrangers et à leur protection international’ [en vigueur depuis 4 avril 2013] il existe des motifs pour expulser les étrangers. Si une décision d’expulsion est prise pour un étranger, un “contrôle administratif” est décidé également. Et des étrangers mis sous contrôle administratif sont retenus dans ces lieux.”
“Si je vous laisse vous entretenir avec eux, je serai muté”
Il me raconte aussi ce qu’il vit dans ces centres, en tant qu’avocat.
“Dans ce lieu, il y a carrément des conditions carcérales, et pas de simple rétention. Ce que j’entends de mes clients qui sont ici, c’est qu’ils sont insultés par tout le monde, du nettoyeur au directeur, qu’on ne leur donne pas à manger, et qu’ils subissent des tortures. Ils nous font attendre pendant des heures devant la porte, pour nous empêcher de nous entretenir avec nos clients. Avec ces pratiques arbitraires, ils empêchent donc, l’activité professionnelle des avocats. Ceci est contre le Droit, et c’est un crime. Le conseiller de l’immigration me dit “Si je vous laisse vous entretenir avec eux, ils me muteront ailleurs. C’est l’ordre qu’on m’a donné.” Pendant que j’attends, des gens passent devant moi, des malades, des gens qui ont un oeil tuméfiés… Quand je demande, on m’explique qu’il sont tombés par terre. On entend sans cesse des hurlements venir de l’intérieur…”
“Les conditions sont pires que dans les prisons”
L’avocat répond à la question “Mais pourquoi font-ils souffrir comme cela ces gens ?” : “Il existe un concept appelé “Retour volontaire”. Comme légalement, il existe une “interdiction de renvoyer”, certains étrangers ne peuvent pas être renvoyés. En faisant souffrir les étrangers qu’ils ne peuvent pas expulser à cause de cet interdit, en les affamant, en les torturant, ils les obligent à signer le formulaire de “retour volontaire”. Ils les forcent de cette façon, à rentrer dans leur pays. Ce n’est pas pour rien que ces personnes hurlent par les fenêtres. Même dans les prisons, les conditions sont meilleures. Ces gens ne sont pas des criminels. Quand vous consultez la [Loi des Immigrés internationale], ils ont le droit à un avocat, de contester. Mais ces lois ne sont pas appliquées ici. Il est question d’un isolement total. Ce centre est un centre qui viole les droits humains.”
Nuray AlmaçL’article original en turc sur Gazete Duvar
Pour infos complémentaires :
Sur le papier, il doit exister des protocoles, avec la Croix Rouge et associations d’utilité publique, dans les grandes villes comme Adana, Antalya, Aydın, Bursa, Çanakkale, Edirne, Erzurum, Gaziantep, İstanbul, İzmir, Kırıkkale, Kırklareli, Tekirdağ et Van. Mais des rapports avaient déjà été établis par des délégations de représentants au Parlement Européen sur le non respect de ceux-ci. Par exemple celui-ci, du 2-4 mai 2016 rapporte en résumé :
- Il existe actuellement 18 “Centres de renvoi” en Turquie, avec une capacité totale de 6000 personnes. Ce que les autorités en communiquent est totalement contraire aux témoignages des réfugiés retenus dans les centres. Les centres ne sont pas différents des prisons.
- Centre de renvoi de Kırklareli : Bien qu’il soit possible d’avoir un avocat, dans la pratique, c’est rendu quasi impossible. Les avocats et organisations de société civile qui souhaitent apporter leur soutien n’ont aucun accès au centre.
- Centre de renvoi d’Edirne : Les formulaires fournis aux réfugiés transférés dans ce centre sont en turc. Dans le centre, il n’y a aucun traducteur autre que la langue arabe. Il a été observé que les téléphones portables des réfugiés sont confisqués sans avertissement. Les dortoirs sont pleins, bien au dessus de leur capacité. Les familles sont enfermées à clé dans leur chambres. Nous avons appris qu’une personne qui saignait de la bouche n’a pas été amenée de suite chez le médecin, seulement au bout de 5 jours…
Le Directeur du centre exprime son inquiétude sur les refoulements à la frontière bulgare. “Nous savons que lors des refoulements, il y a eu des personnes sérieusement blessées. Par ailleurs, nous entendons des témoignages sur des réfugiés qui seraient morts, suite aux attaques des chiens, lâchés sur le long de la frontière.” - Cornelia Ernst (Allemagne) : “Je suis inquiète sur les droits humains fondamentaux des réfugiés envoyés vers la Turquie, dans le cadre du traité, négocié entre la Turquie et l’EU. Je ne comprends toujours pas, comment un traité construit sur le principe de refoulement puisse être légitime et légal.”
- Marina Albiol (Espagne) : “La Turquie a été ‘louée’ comme un centre de renvoi. Les politiques de l’immigration pensées à Bruxelles sont mises en application ici. Nous avons vu les conséquences terribles des ces politiques imposées par l’UE, sur des milliers d’êtres humains. Nous avons observé lors de notre visite, que la Turquie n’est pas un ‘pays sûr’, et que le fait que l’UE la considère comme ‘pays sûr’ est basé sur l’opportunité de posséder un organe de contrôle extérieur à l’UE.”
- Josu Juaristi (Pays Basque autonome) : “Il n’est pas acceptable que les familles avec des enfants soient retenues dans des centres de renvoi. Et cela se réalise grâce aux fonds de l’EU. Un millions d’enfants réfugiés en âge de scolarité se trouvent en Turquie et seuls 13% peuvent aller à l’école. Nous laissons toute une génération sans avenir. Les pays de l’EU en sont directement responsables.”
[L’intégrale du Rapport de GUE-NDL, pdf en anglais]
Malgré les rapports, les déclarations, avertissements, lanceurs d’alerte, les projets de nouveaux centres, la plupart financés par l’UE, continuent à fleurir en Turquie.
A part les 18 centres existants, le site de la Direction Générale de l’administration de l’immigration, du Ministère de l’intérieur arbore fièrement les nouveaux projets, sur ce document mise à jour le 28/02/2017.
Dans les mois à venir un nouveau Centre de renvoi de 750 personnes sera ouvert à Van. (Projet financé par l’UE)Entre 2014-2015, 11 Centres de renvoi ont été planifiés, pour un budget de 98.600.000,00 TL, à Ankara (500 personnes), Ağrı (400 p), Çanakkale (250 p), Kocaeli (250 p), Malatya (250 p), Tekirdağ (400 p), Istanbul (Container) (1200 p), Hatay (400 p), Kırıkkale 400 p), Antalya (120 p), Aydın (Container) (400 p), Total : 4570 personnes.La construction des centres de Çanakkale, Aydın, Antalya, Ağrı et Kocaeli est en cours. Les trois premiers entreront en principe en service dans le courant du premier semestre 2017. Les autres villes en sont à la phase du projet.Dans le cadre du projet EU, et de l’accord, 6 centres ont été proposés à financement. Les entretiens continuent. Balıkesir, Bayburt, Bitlis, Kütahya, Niğde, Şanlıurfa, (chaque centre ayant une capacité de 400 personnes), donc au total 2400 personnes.
Nous ne pouvons faire en l’état un article exhaustif, de nombreuses informations étant très peu disponibles, où dispersées volontairement entre diverses “études” ou “rapports”. Kedistan ne dispose pas des équipes d’enquêteurs de l’UE ou du Conseil de l’Europe…
Mais en l’état, les témoignages concordent pour décrire les conséquences inhumaines de décisions politiques prises entre chefs d’état soucieux avant tout de la xénophobie montante de leurs opinions publiques. Le pendant paraît-il “sécurisé” des noyades en Méditerranée ou en mer Egée, comme de celui des univers carcéraux sur le sol européen lui même sur la “route fermée des Balkans”, ou l’emprisonnement grec dans des conditions indignes, s’avère être une inhumanité financée, qui broie loin des regards.
Nous sommes visiblement capables d’oublier la souffrance animale dans les abattoirs, pour garnir nos assiettes de protéines. La mise à distance, la sous-traitance de cette souffrance, permet de digérer devant des images de télévision rassurantes. Même si la comparaison avec les migrants et le “traitement” qu’on en fait, la mise à distance créée, est osée sans doute, les ressorts psychologiques sont les mêmes.
Les politiciens ont tiré leurs leçons de l’image du petit Aylan. Les affaires peuvent continuer, derrière cette chaîne diluée de responsabilités où l’humanité ne peut plus appeler au secours que par la fenêtre, sans que son cri ne rompe pourtant le silence. Dans une Turquie qui emprisonne ou exile sa propre population, dont certains, comme Barış Yazgı, finissent par y perdre la vie par désespoir, en empruntant le chemin des réfugiés pour survivre, nous ne pouvions pourtant faire taire ces bruits… Des bruits inhumains, parmi d’autres bruits du monde.
Image à la une : Centre de renvoi Kumkapı, à Istanbul (2012)
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Cet article L’humanité appelle à l’aide par la fenêtre ! a été publié par KEDISTAN.
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