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maandag 28 maart 2016

Bruxelles par Joachim Caffonnette

J’écris ce petit article suite à une polémique déclenchée sur Twitter avec Jean Quatremer et à laquelle un nombre effarant de misanthropes aigris a pris part.
Ce qui suit est la vision personnelle d’un Bruxellois, pour qui les connaissances en matière de sociologie s’arrêtent à une année de cours dans mon cursus au conservatoire. Par contre, quand il s’agit de refaire le monde autour d’une bière avec des connus et des inconnus issus de milieux divers et variés, j’ai une sacrée expérience. Il s’agit ici surtout d’apporter un point de vue différent de la description étriquée de Quatremer et consorts.
Lors d’un interview au Petit Journal de Canal +, Jean Quatremer a affirmé sans retenue que Bruxelles n’est pas une ville comme les Français la conçoivent : Bruxelles, c’est des petites maisons, chacun vit dans son coin et personne ne se mélange. Il y a selon lui 3 Bruxelles : Les Européens, Les “Belgo-Belges” (qui aspirent à quitter Bruxelles dès qu’ils auront accumulé leur petit pactole) et les Musulmans. Et les contacts entre ces trois catégories se limitent à un hochement de tête quand ils se croisent en rue. Le Belge n’aspire pas, au contraire du Français, à la vie collective, dit-il. Le Français qui lui est un exemple en la matière... Maîtrisant la convivialité comme il maîtrise les langues étrangères... Au jeu de celui qui balancera le plus de clichés, on peut jouer infiniment. Mais c’est justement comme ça qu’on en vient à se refermer sur soi et à croire que c’est la norme.
Évidement en tant que Bruxellois passant la moitié de mon temps en dehors de chez moi, l’intervention de Quatremer m’a rendu pour le moins assez perplexe. Je n’ai absolument pas ce sentiment quand je me promène en ville, que je vais voir des concerts, boire un verre ou jouer au foot au parc du Cinquantenaire. C’est assez consternant, de la part d’un journaliste, de dresser de manière aussi catégorique un portrait tellement simpliste de la deuxième ville la plus cosmopolite au monde.
Des Européens j’en croise souvent dans les lieux que je fréquente. On y trouve aussi des “Belgo-Belges” originaires des quatre coins du pays - qui n’aspirent certainement pas à quitter la capitale puisqu’ils viennent de s’y installer - et des tas de “Musulmans”, comme les appellent Quatremer. J’imagine qu’il parle des personnes d’origine nord-africaine, essentiellement de culture musulmane.
En fait, ce que décrit le journaliste, c’est la vision grossière d’une capitale qui est comme toutes les grandes villes du monde. On y trouve en effet des communautés, souvent regroupées par quartiers. Mais il n’y a pas de murs, et si certains membres de ces communautés restent effectivement entre eux (que ça soit à Bruxelles, New-York ou Paris), d’autres changent de quartier, travaillent et vivent ensemble sans même avoir conscience d’appartenir à une catégorie ou à l’autre d’habitant.
Ce qui est consternant, c’est de voir comment chacun pense que sa vision des choses est la seule qui compte. Comme eux restent dans leur confortable petit biotope, ils pensent que c’est le cas de tout un chacun. Même si ce que Quatremer dit est vrai pour certaines personnes, dont il fait visiblement partie, ce n’est pas vrai pour beaucoup d’autres. Si je regarde le mois qui vient de s’écouler, j’ai discuté et travaillé avec une demi douzaine de Français établis à Bruxelles, trois Italiens, deux Belges d’origine congolaise, un Belgo-Tunisien, un Belgo-Marocain, un Franco-Algérien, un Sénégalais, au moins quinze Flamands, des Belges nés à Bruxelles, des Belges nés à Arlon, des Belges né à Anvers, deux Musulmans, beaucoup d’athées, trois homos (pour autant que je le sache), des gens de droite, des gens de gauche, des gens de droite se pensant à gauche, des Juifs, des Espagnols, des jeunes, des cinquantenaires, des vieux, des cons et des gens brillants. Et beaucoup de ces personnes sont dans le même cas que moi, ça en fait déjà un bon paquet qui est à l’antipode de ce que décrit Quatremer.
Des petites maisons individuelles ? 50 pourcent de mes connaissances vivent en colocation, avec des gens qu’ils ne connaissaient parfois pas avant, ne jurent que par Bruxelles, et n’ont aucune intention d’aller s’installer à Lasne, Wemmel ou Rhode-Saint-Genèse. Pour parler encore un peu de ma propre expérience, j’y ai grandi à Rhode-Saint-Genèse justement, le rêve du Bruxellois belgo-belge moyen selon Quatremer. À l’époque, il était moins cher d’avoir une maison avec jardin là-bas qu’un appartement à Bruxelles, donc tout l’inverse du riche qui quitte la ville. Dans mon école, il y avait des enfants de bourgeois, des fils de diplomates, des réfugiés somaliens, serbes et croates, des congolais, des enfants de la “classe-moyenne”, une famille péruvienne, même des Arabes, des témoins de Jéhovah et quelques Juifs c’est vous dire... tout le monde fréquentait cette petite école, et croyez le ou non, mais on se parlait et on fêtait les anniversaires l’un chez l’autre ! Et tout se passait comme dans n’importe quelle école primaire.
Il est évident que la politique belge en matière d’immigration et d’intégration, comme pour la plupart des pays occidentaux, est un désastre. Que d’avoir laissé des quartiers communautaires se former et d’avoir raboté année après année les budgets de l’éducation et de la culture a créé un clivage indiscutable entre certains membres des différentes communautés peuplant Bruxelles. Mais il existe aussi des dizaines d’initiatives qui luttent contre ce clivage, et des milliers de Bruxellois qui, consciemment ou non, communiquent et vivent avec d’autres Bruxellois d’origines, de confessions et d’opinions des plus diverses. Et là où Quatremer est complètement à côté de ses pompes, c’est quand il affirme que c’est un problème proprement bruxellois... Les banlieues parisiennes ou marseillaises sont manifestement un exemple de réussite d’intégration de population d’origine étrangère... Ou Chinatown, la preuve d’une mixité culturelle réussie dans les quartiers des grande villes, là où Bruxelles a lamentablement échoué.
C’est incontestable, les immigrés ont tendance à se regrouper par quartier, c’est aussi vieux que le monde et jamais les politiciens n’ont vraiment essayé quoi que ce soit pour qu’il en soit autrement. C’est de là que vient le problème, c’est de là que vient le constat étriqué de Quatremer. Mais affirmer avec un tel aplomb que c’est le cas particulier de Bruxelles et de tous les Bruxellois, c’est à la fois d’une arrogance crasse et d’une malhonnêteté à peine croyable de la part d’un journaliste de Libération, résident bruxellois depuis si longtemps.
Messieurs Quatremer, Marcel Sel, Isodore Poireau, et les autres, je vous invite à vous promener le long du canal et même à le traverser. À aller au Bravo, au Magasin 4, sur le Parvis de Saint-gilles, Place Saint-Josse, à la Jazz-Station, à Schaerbeek, Place de Bethléem, dans les Marolles, Place de la Bourse, Place du Luxembourg, au Fat-Boy, au Michael Collins, à Matonge, à la Mandibule, au Tournant, place Flagey... à vous asseoir à une terrasse (ça tombe bien, les beaux jours reviennent) et à partager une Zinnebir, une Beck’s, une Guiness, une Super Bock ou un thé à la menthe avec les gens qui s’y trouvent. Vous verrez, c’est pas si terrible, vous y ferez même peut-être une belle rencontre qui vous enlèvera ce goût de bile qui semble remplir vos palais.
Vivre ensemble, si on y met un peu de bonne volonté, qu’on s’extrait de sa sinistrose et de son défaitisme, qu’on prend un peu de hauteur et qu’on regarde les choses sous un autre angle, c’est tout à fait possible. C’est même une réalité pour beaucoup et ça ne risque pas de vous péter à la gueule.

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